La neige
Chaque flocon de neige est unique,
que sa forme soit celle d’une plaquette, d’une étoile, d’un
bouton de manchette ou d’une nouille. Ce particularisme
intrigue les savants, les premiers à s’en étonner étant
Johannes Kepler et René Descartes. Aujourd’hui, les physiciens
savent quels mécanismes commandent la croissance cristalline de la glace.
Pour les découvrir, nous suivrons, de la prime enfance à la maturité,
la croissance d’un «peloton de glace», comme disait si joliment
Descartes. Nous comprendrons alors mieux l’incroyable variété
de la structure des flocons et l’origine des angles de 60° ou de 120°
qu’elle arbore partout.
La naissance d’un flocon de neige s’accomplit sous les auspices
de trois marraines : la vapeur d’eau, la température et…
la poussière. La vapeur d’eau, tout d’abord, doit être
suffisamment dense dans l’atmosphère pour qu’elle s’y
condense à la première occasion. Elle se condense sous forme de
glace, quand la température est inférieure à 0° C à
partir d’une densité minimale de vapeur d’eau dans l’atmosphère,
la densité de saturation. Cette saturation dépend de la température
: elle est atteinte pour cinq grammes par mètre cube à 0°
C, mais seulement pour un gramme par mètre cube à –18°
C. Finalement, il faut aussi une poussière. La croissance cristalline
s’amorce à partir d’un germe, soit une poussière,
soit un microcristal de glace. Quand l’atmosphère est très
propre, un tel cristal microscopique ne se forme pas facilement. La densité
de vapeur d’eau peut même dépasser quatre fois la valeur
de saturation sans que la moindre glace ne se forme. À un certain niveau
de sursaturation, toutefois, les chocs entre molécules d’eau finissent
par créer des agrégats assez volumineux pour servir de support
à la croissance cristalline. Dans les nuages de neige, la vapeur d’eau
est rarement aussi dense : aussi, le plus souvent, la croissance de la glace
s’amorce à la surface de poussières atmosphériques.
La chute de neige dense que nous espérons pour Noël est, pour l’essentiel,
une pluie de poussières atmosphériques que leur robe de glace
contraint à la chute!
Germes atmosphériques.
Ces poussières atmosphériques
sont, par exemple, de mica ou d’argile ou de sel. De telles particules
sont d’excellents «germes de croissance», car leur surface
est faite d’atomes d’oxygène arrangés suivant une
structure proche de celle de la glace. Une poussière est d’autant
plus active qu’elle est grande et des particules d’un centième
de millimètre se couvrent de glace dès que la saturation est atteinte.
En revanche, les poussières submicrométriques que l’on trouve
au-dessus de 4 000 mètres d’altitudes ne servent de germes que
si l’atmosphère est nettement sursaturée.
L'apparition d'une phase dans une autre est en effet rendue difficile par des
effets de tension de surface. Tant que le rapport surface/volume de la nouvelle
phase est petit, la croissance est énergétiquement défavorable.
Si ce rapport est assez grand, alors la croissance est possible. Les impuretés
permettent à la nouvelle phase d'atteindre cette taille critique. Dans
le cas de la glace, il se forme autour des germes des cristaux prismatiques
hexagonaux. Les cristaux plus compliqués sont issus de l'évolution
de ces cristaux simples, ce qui explique que beaucoup d'entre eux présentent
une symétrie hexagonale. Les angles du cristal de départ donnent
naissance à des branches, qui à leur tour deviennent instable
par le même mécanisme. La formation de cristaux dendritiques est
alors favorisée
Le cristal initial de glace mesure environ un centième de millimètre
et sa forme est vaguement sphérique même si sa surface est très
irrégulière à l’échelle moléculaire.
La croissance qui se poursuit réduit très rapidement cette rugosité,
car les molécules d’eau se fixent préférentiellement
là où elles peuvent établir le plus de liaisons avec leurs
semblables, donc dans les creux. Petit à petit, la croissance engendre
des plans cristallins et elle détermine leurs surfaces et leurs orientations
de façon à produire une forme régulière et symétrique.
Quelle est la raison moléculaire de ce comportement surprenant? Aux pressions
et aux températures atmosphériques, chaque molécule d’eau
se trouve au centre d’un tétraèdre formé par ses
quatre voisines et le réseau cristallin de la glace a une symétrie
hexagonale (on comprend cette géométrie en regardant les tétraèdres
«de dessus» : ils se projettent alors selon des triangles équilatéraux,
qui accolés forment des hexagones). Le cristal qui résulte de
la croissance est un prisme hexagonal, dont les faces supérieure et inférieure
sont des hexagones (ce qui explique les angles de 120 et 60 degrés) et
les facettes latérales des rectangles. Sa taille initiale est de l’ordre
d’un cinquième de millimètre : ceux dont la croissance a
abouti à une autre forme intègrent néanmoins des hexagones
dans leur structure.
Dans l’étape suivante de la croissance, la nature de la surface
de la glace joue un rôle dominant. Les molécules qui la constituent
forment une couche désordonnée, quasi liquide. À l’échelle
microscopique, cette couche conserve une sorte de mémoire de la structure
des plans cristallins sous-jacents. À notre échelle, elle «lubrifie»
la glace et la rend glissante ; c’est aussi par son intermédiaire
que les flocons se collent lorsque nous formons des boules de neige. Nous savons
cependant, qu’il est difficile de patiner ou de mettre la neige en boule
par grand froid : cette observation nous indique que la couche superficielle
quasi liquide n’existe pas quand il fait trop froid. Haute à peu
près comme une molécule quand elle apparaît vers –12°
C, elle gagne très vite en épaisseur quand la température
croît. Vers 0° C, elle pénètre le cœur même
du cristal : la glace s’est transformée en eau. Puisque la surface
du cristal est quasi liquide, les molécules qui s’y déposent,
peuvent s’y déplacer ensuite jusqu’à l’endroit
le plus favorable (un creux!) avant de se fixer. Selon la température,
ce processus de diffusion est plus ou moins lent, ce qui affecte la forme prise
par le flocon.
L’histoire détermine la géométrie.
Ainsi, selon les conditions atmosphériques,
les flocons, jusque-là tous jumeaux, adoptent une multitude de formes.
Trois modes de croissance dominent. Les deux premiers sont commandés
par la température : selon la valeur de celle-ci, ce sont soit les faces
hexagonales, soit les facettes latérales,qui «poussent» le
plus vite. Entre –10° C et –5° C, les bases hexagonales
se développent plus que les facettes : à –6° C par exemple,
cette vitesse de croissance est le double de celles des facettes latérales
et le flocon a alors l’aspect d’une colonne. Aux températures
supérieures à –5° C ou inférieures à –10°
C en revanche, les facettes croissent plus rapidement que les faces hexagonales
: elles poussent par exemple de 0,5 millième de
millimètre par seconde à –13° C, soit quatre fois plus
que ne le font les bases. Un flocon de neige qui reste à cette température
pendant toute sa croissance prend la forme d’une plaquette hexagonale.
Le troisième mode de croissance est commandé par la concentration
en eau de l’atmosphère où se forme le flocon. Plus la sursaturation
est importante et plus le cristal croît vite. Lorsque la vitesse de croissance
devient trop grande ou quand le cristal est devenu grand, les molécules
d’eau qui se déposent n’ont guère le temps de migrer
à la surface cristalline avant de se fixer. Il en est de même à
très basse température lorsque la couche quasi liquide est absente.
Puisqu’elles ne migrent plus, les molécules d’eau se fixent
près de l’endroit où elles ont rencontré la surface
cristalline. Quels endroits sont plus souvent atteints? Les arêtes! Ce
comportement s’amplifie de lui-même, car plus les arêtes croissent,
plus elles font saillie, et plus leur croissance s’accélère.
C’est par ce mécanisme que se forment les flocons en forme d’étoiles
à six branches (les «roues à six dents» de Descartes).
Le même mécanisme fonctionne aussi de façon plus compliquée.
Ainsi, il arrive que les branches à leur tour se dentellent, se subdivisant
en branches plus petites, qui elles-mêmes se divisent… L’origine
de cette magnifique ramification et de sa régularité a été
expliquée en 1964 par les Américains Mullins et Sekerka, qui s’intéressaient
aux nombreuses structures ramifiées observées en métallurgie.
Mullins et Sekerka ont montré qu’une surface plane qui croît
trop vite se couvre de bosses séparées par une distance d’autant
plus petite que la vitesse de croissance est grande. En d’autres termes,
la diffusion rapide de particules vers la surface favorise la croissance des
bosses placées à une certaine distance les unes des autres. Si
la croissance se poursuit au même rythme, celles-ci deviennent majoritaires,
de sorte qu’un réseau régulier d’aspérités
recouvre bientôt la surface. Dans le cas du flocon, la subdivision des
branches d’un flocon n’intervient que si la vitesse de croissance
est assez grande pour que la longueur séparant deux nouvelles aiguilles
(les bosses) soit inférieure à la longueur des aiguilles déjà
constituées.
La chute et sa transformation.
Puisque nous comprenons désormais
les formes multiples des «pelotons de glace», il nous reste à
imaginer leurs parcours. Nés à haute altitude, où il fait
très froid, les flocons sont emportés par le vent pendant leur
croissance. De plus en plus lourds, ils tombent doucement vers le sol, traversant
diverses couches de l’atmosphère, où ils rencontrent des
conditions différentes. Ainsi, chaque couche et chaque endroit de l’atmosphère
favorisent tel mécanisme de croissance, puis tel autre, etc. Une étoile
à six branches qui traverse un nuage à –15° C, se parera
bientôt d’étincelantes aiguilles ; confrontée à
l’humidité extrême d’une couche basse à –2°
C, elle accrochera promptement de fines plaquettes aux extrémités
de ses aiguilles, etc.
Malgré les progrès accomplis depuis Descartes, la neige garde
nombre de ses mystères. Les flocons sont presque toujours parfaitement
symétriques. Quelle que soit leur complexité, leurs branches sont
parfaitement identiques. Pourquoi? Un mécanisme régule-t-il la
croissance de l’ensemble du cristal? Ou bien, le fait que chaque branche
croisse dans les mêmes conditions suffit-il à expliquer leur étonnante
similitude? Les pelotons de glace n’ont pas fini de nous intriguer.
La neige roulée est un cas
particulier puisqu'elle se forme à partir des gouttelettes d'eau liquide
(et non à partir de la vapeur d'eau) présentes dans le nuage (malgré
sa température négative). Ces gouttelettes gèlent sur le
cristal de neige à son contact et lui donne un aspect "boursouflé".
La neige roulée (aussi appelée grésil) ressemble aux boules
de mimosa. Sa principale caractéristique est son absence de cohésion
qu’elle conserve longtemps au
sein du manteau neigeux lorsqu’elle est enfouie.
La neige peut déjà
faire l'objet de transformations qui expliquent que lorsqu'elle arrive au niveau
du sol, elle peut ne plus ressembler aux cristaux de neige fraîche.
Le vent a une action destructive sur les cristaux de neige. En soufflant, il
provoque des chocs de cristaux les uns contre les autres. Ces chocs peuvent
être suffisamment forts pour casser les parties les plus fragiles des
cristaux de neige fraîche (branches d'étoile, aiguilles, etc.).
De même, si au cours de sa chute, le cristal rencontre une température
positive, il peut commencer à fondre et donc à perdre sa forme
originelle. La neige qui arrive au sol est donc humide et ne ressemble plus
au cristal de départ.
Ces deux facteurs expliquent que les neiges qui viennent de tomber peuvent avoir
des caractéristiques très variables en fonction des conditions
météorologiques (vent et température mais aussi humidité)
au moment de leur chute.
Tout au long de l'hiver, les chutes de neige s'accumulent sur le sol puis les
unes sur les autres et constituent le manteau neigeux : un empilement de couches
de neige sur le sol. Chacune d'elles, plus ou moins épaisse, va ensuite
évoluer, se transformer puis disparaître en fondant. Ces transformations
se produisent sous l’effet de facteurs mécaniques et thermiques.
Une avalanche est une " masse de neige qui se détache et dévale
le versant d'une montagne ".
On peut aussi décrire le phénomène comme une rupture d'équilibre
dans le manteau neigeux, entraînant le glissement à une certaine
vitesse d'une masse de neige plus ou moins importante sur une pente, sous l'effet
de son propre poids. Schématiquement, on peut considérer le manteau
neigeux comme un corps en équilibre sur un plan incliné. Il est
soumis à deux types de forces : celles qui l'attirent vers le bas, et
celles qui le maintiennent en place.